« Le Mur lui est monté à la tête ». Construction du mur de Berlin et basculement dans la maladie (Berlin-Est, 1961-1968)

Fragilités psychiatriques et crise politique
Par Fanny Le Bonhomme
Français

Si plusieurs auteurs évoquent l’expression « maladie du Mur » (Mauerkrankheit) afin de désigner les réactions pathologiques survenues à la suite de la construction du mur de Berlin, aucune étude ne s’est encore penchée sur ses manifestations concrètes, ainsi que sur l’interprétation qui a pu en être faite par le savoir psychiatrique. C’est cette lacune que le présent article se propose de combler, en s’appuyant principalement sur l’analyse de dossiers psychiatriques et psychothérapeutiques de l’époque. Contenant les traces des expériences des patients, ces sources permettent d’interroger les modalités selon lesquelles le Mur est « entré dans les têtes », faisant basculer certains individus dans la sphère de la dépression, de l’angoisse ou de la folie. Dès les années 1960, le Mur se fait source de tristesse, de désarroi ou de peur, au point de donner naissance à l’expression de « maladie du Mur » qui en fait un élément pathogène, contredisant totalement la propagande menée par les autorités communistes. Si, dans le cadre de l’échange avec le thérapeute, les patients peuvent évoquer un sujet aussi sensible, leurs mots restent enfermés dans une logique de « circularité diagnostique ». Paradoxalement, c’est justement parce qu’ils sont perçus comme autant de signes d’une maladie mentale que les mots de ces individus – quelle que soit la dimension politique qu’ils renferment – peuvent laisser des traces dans le dossier médical. Grâce à cette source qui, tout en réduisant le sujet à son statut de malade, laisse entendre sa voix, l’historien peut avoir accès à des expériences personnelles d’ordinaire passées sous silence.

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