L’égalité divisée. La race au cœur de la ségrégation juridique entre citoyens de la métropole et citoyens des « vieilles colonies » après 1848

Par Silyane Larcher
Français

Si conformément au principe révolutionnaire d’universalité des droits du citoyen, l’abolition de l’esclavage par la Seconde République en 1848 a institué la pleine égalité civile et politique entre citoyens (masculins) de la métropole et ex-esclaves des « vieilles colonies » de plantation, l’égalité civique n’a pas pour autant impliqué la pleine inclusion de ces derniers dans la « communauté des citoyens ». En effet, la pleine citoyenneté française s’est accompagnée aux Antilles (mais aussi en Guyane et à la Réunion) d’un régime législatif dérogatoire au droit commun. Ces « colonies de citoyens » furent régies par un système juridique les plaçant en dehors des lois applicables en métropole. Quelle « pensée d’État » permit, au long de plusieurs régimes politiques distincts, de faire tenir ensemble l’articulation improbable entre égalité civique et exception ? La division de l’égalité qui fonda une mise à l’écart des égaux ou une « altérisation » des citoyens des colonies post-esclavagistes s’est articulée dans la longue durée à une politisation des héritages historiques et anthropologiques des personnes originaires des îles à sucre. En abordant l’histoire de la citoyenneté française à partir de sa marge coloniale caribéenne, on observe ainsi qu’elle ne fut pas toujours unitaire ni abstraite : elle s’est articulée à une fabrique spécifique de la race. La logique de racisation par laquelle s’opéra la coupure entre Français de la métropole et Français des « vieilles colonies » anciennement esclavagistes ne se comprend pas simplement en termes coloristes, mais plutôt en termes « civilisationnels » – en termes « culturels » dirions-nous aujourd’hui.

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