De l'honneur de la corporation à l'honneur de la patrie

Les étudiants de Göttingen dans l'Allemagne de la Première Guerre mondiale
Par Marie-Bénédicte Vincent
Français

L’Université de Göttingen fournit un prisme privilégié d’observation des corporations étudiantes allemandes à la fin de l’Empire. De recrutement social fermé et caractérisées par une certaine éthique, ces dernières veulent faire de leurs membres de véritables hommes d’honneur. Un des fondements de « l’éducation corporative » est notamment la nécessité de réparer l’honneur individuel par les armes en cas d’offense. Proposant la protection des anciens envers les plus jeunes et préparant les étudiants à leur vie tant professionnelle que sociale, les corporations étudiantes peuvent être envisagées comme système de recrutement et de formation des élites allemandes. La célébration du centenaire de la bataille de Leipzig en 1913 commémore la victoire du peuple allemand contre Napoléon et réactive le patriotisme des étudiants : ces derniers s’engagent ensuite massivement dans l’armée comme volontaires en août 1914. La Première Guerre mondiale est l’occasion pour eux de mettre directement en pratique les valeurs de l’engagement corporatif. La guerre apparaît comme un commerce de l’honneur au niveau international, où il convient de réparer l’honneur de l’Allemagne que l’on croit outragé. La manière dont est vécu le conflit peut être reconstituée à partir de lettres du front et de journaux de guerre internes aux corporations : l’exigence de se montrer exemplaires au front apparaît pour les étudiants comme un « devoir » envers leur corporation avec qui ils restent majoritairement en contact. Mais confrontés à la réalité du conflit, ils connaissent des désillusions à partir de 1916 et déchantent face à une conception traditionnelle de l’héroïsme guerrier qui semble archaïque dans la guerre de tranchées : si les étudiants ont toujours le sentiment de former une élite au sein de leurs divisions militaires, celle-ci ne peut être que d’ordre moral. Le traumatisme d’une défaite largement imputée à « l’arrière » les conduit à désavouer la République de Weimar dès 1918 et à considérer les corporations étudiantes comme fers de lance d’une restauration de la « vraie patrie allemande ».

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