Eigensinn : espaces d’action et pratiques de domination

Autour d’Alf Lüdtke
Par Thomas Lindenberger, Alf Lüdtke
Français

Dans son court avant-propos, Thomas Lindenberger rappelle que l’article publié en français par Le Mouvement social constitue l’introduction d’un volume collectif paru en polonais autour de la notion d’Eigensinn. Ce texte, écrit en allemand à quatre mains, constitue, comme la plupart des textes d’Alf Lüdtke, une « aventure intellectuelle » collective qui demande à être poursuivie.
L’article d’Alf Lüdtke et Thomas Lindenberger livre une réflexion sur la notion d’Eigensinn et sur la manière dont elle permet de comprendre et d’analyser des comportements et situations sociales de domination, dans les régimes autoritaires et de dictature d’abord, mais aussi dans des démocraties. Il commence par l’analyse du terme lui-même, insiste sur son caractère polysémique et met en lumière les connotations positives comme négatives qu’il adopte, dans l’usage quotidien comme dans la littérature allemande. Fondamentalement, le terme renvoie à un certain rapport au pouvoir et a pu à cet égard être utilisé aussi bien par la sociologie que par la psychologie ou la pédagogie dans des contextes interprétatifs divers. Les auteurs voient dans ce flou et cette polysémie une richesse à faire fructifier. Loin d’être un concept surplombant, la notion prend sens dans et à travers un travail empirique précis. Celui-ci doit permettre de mettre en évidence la manière dont les acteurs pris dans des relations de domination peuvent rester « eux-mêmes » (bei sich). Ce que Hegel interprète dans un passage de La phénoménologie de l’esprit comme une « habileté » constitue dans ce contexte une ressource essentielle pour les protagonistes : maître et valet impliqués dans une relation de domination. Le texte offre ensuite des exemples de la fécondité de la notion pour comprendre les comportements des agents dans les bureaucraties autoritaires (Prusse) ou violentes (nazisme) comme des victimes de ces mêmes bureaucraties pour lesquelles l’Eigensinn peut ultimement désigner la capacité de saisir les dernières possibilités d’agir dans une situation d’impuissance totale et mortelle. La dernière partie du texte s’interroge sur l’usage qu’on pourrait en faire pour analyser des relations de pouvoir dans des contextes démocratiques.

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