Agrarisme et État-providence.

Le travail des enfants abandonnés sous la Troisième République
Par Ivan Jablonka
Français

La traditionnelle association entre enfance abandonnée et Révolution industrielle occulte le fait que l’écrasante majorité des pupilles de l’Assistance publique, surtout ceux qui sont nés à Paris, vivent et travaillent non dans les grandes cités mais à la campagne. Cette politique de placement, nourrie par un agrarisme jamais démenti, permet de purger les villes tout en repeuplant les campagnes. A une époque où les bras commencent à manquer dans l’agriculture (à cause de l’exode rural et de la guerre), les pupilles de l’Assistance publique sont très demandés. Dans une certaine mesure, ils tirent profit de leur orientation forcée. Ils jouissent d’un salaire, peuvent acheter ce que bon leur semble et sont libres – dans une certaine mesure – de choisir leur patron, alors que de nombreux enfants de famille sont obligés de travailler gratuitement pour leur père jusqu’à un âge avancé. Mais les enfants abandonnés subissent aussi de nombreux abus : les mauvaises conditions de vie, la faiblesse des gages, le surmenage et les violences sexuelles causent des souffrances que l’administration ne se soucie pas de soulager. Au final, la politique de placement rural de l’Assistance publique n’a pas eu un effet notable sur les flux de population, mais elle a modifié en profondeur l’économie et la démographie de certaines régions, tout en perpétuant un secteur agricole peu mécanisé et faiblement concurrentiel.

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